Quand la grossesse s’interrompt.

Porter la vie est une expérience profondément transformatrice.
Qu’elle ne dure que quelques semaines ou s’étende sur neuf mois, elle relie la femme à quelque chose de plus vaste qu’elle : l’amour, la féminité, la fertilité, la création, la continuité, la vulnérabilité, sa place dans la famille et dans la lignée, le transgénérationnel…

Mais parfois, cette vie ne reste pas.
Elle s’interrompt, laissant derrière elle un vide difficile à nommer, une douleur souvent silencieuse, et un corps qui garde la mémoire de ce passage. Dans nos sociétés, ces pertes restent très peu reconnues, presque banalisées. On parle rarement de ces femmes qui ont porté la vie sans pouvoir l’accueillir. Pourtant, chacune traverse un bouleversement à la fois biologique, émotionnel, psychique, systémique et spirituel.

Avec cet article, je souhaite offrir un espace pour mettre des mots sur cette traversée : comprendre ce qui se passe dans le corps, dans le cœur, dans le lien. Donner voix à la dimension symbolique, systémique et spirituelle de ces expériences. Explorer ce que ces pertes réveillent de notre humanité la plus profonde, ainsi que la trace traumatique que certaines d’entre elles peuvent laisser.

Parler de la grossesse et de la perte, c’est parler de ce mouvement où la vie et la mort s’enlacent dans le corps de la femme gestante. C’est évoquer le tout et son contraire : la vie qui commence, la fin qui surgit, le désir de materner (conscient ou non), l’histoire personnelle, la mémoire du corps et l’intimité la plus fine de la féminité.

La résistance

Avant même d’écrire, j’ai senti se rejouer en moi ce que tant de femmes traversent face à la mort prématurée d’un bébé (qu’il en soit au stade d’embryon ou déjà celui d’un fœtus). Il y a dans cette expérience un mouvement vertigineux entre le début et la fin qui se côtoient, la vie et la mort qui se frôlent et le deuil intime qui s’invite dans un espace où l’on attendait plutôt la joie. C’est un lieu où se rejoignent toutes les femmes déjà mères, toutes celles qui l’ont été sans que cela ne se voie, toutes celles qui portent en elles des traces invisibles.

La résistance est un mouvement protecteur, un signal qui apparaît lorsque quelque chose fait mal et lorsqu’une réalité touche une zone fragile. Elle surgit quand la traversée semble trop grande, quand on redoute d’avaler de l’eau ou d’être prise dans une tempête émotionnelle que l’on ne saura pas gérer.

La résistance est comme cette voix silencieuse qui nous dit : “C'est douloureux, ca fait mal” 

Et au même temps, c'est parce qu'on résiste, parce qu'il y a résistance, que la douleur et la souffrance persiste. 

Accueillir la traversée

Malgré la peur, malgré la retenue, la traversée s’impose un jour. Pas par obligation, mais parce que le corps et le cœur ne peuvent plus porter seuls ce qui a été vécu.

Traverser, c’est accepter de s’approcher, doucement, de ce qui fait mal pour laisser enfin circuler ce qui est figé : la peine, la colère, la culpabilité, la solitude, la sensation d’injustice, les questions sans réponse, l'absence de sens. 

Dans le contexte de la grossesse interrompue, traverser signifie parfois :

  • reconnaître qu’il s’est passé quelque chose ;
  • accepter qu’un lien s’est tissé, même brièvement ;
  • honorer la trace laissée par cette vie ;
  • se permettre de ressentir ;
  • accueillir ce qui revient dans le corps, dans les rêves, dans la mémoire du corps ;
  • déposer ce qui n’a jamais pu être dit 

Et au cœur de cette traversée, il y a souvent la première liberté : celle de ne plus porter seule.

Traverser, ce n’est pas se forcer. C’est se laisser approcher, par petit pas. C’est accepter d’être accompagnée. C’est sentir qu’au bout du chemin, quelque chose se transforme. Traverser, c’est s’approcher, très doucement, de la liberté.

Au cœur du déchirement

Une image s’impose avec force : celle d'un corps qui se vide, qui se sépare d’une partie de lui-même.

Le mot « déchirement » traverse mon esprit. Comme si l’on prenait un cœur entre ses mains et qu’on essayait de l’ouvrir en deux à la seule force des doigts. Une main représenterait la vie, l’autre la mort. Et au centre, ce cœur tendu entre deux forces qui s’opposent. Laquelle l’emportera ?

Ce cœur saignant, encore battant et vivant malgré tout, demande à être vu et entendu. Demande à être raconté et rejoint. 

Accepter de laisser couler un peu de ce sang c'est laisser la vie retrouver son espace. C’est ouvrir une brèche pour que ce qui était enfoui puisse enfin circuler. C’est offrir des mots à la mémoire du corps, à l’expérience émotionnelle, aux zones silencieuses que l’on garde souvent pour soi. C’est rejoindre toutes ces femmes qui ont senti la vie s’inviter en elles… puis s’en aller. 

Car on peut saigner sans mourir, perdre sans disparaître et se déchirer sans cesser d’exister.

Là où la perte rencontre le vivant

Parce qu’au cœur même du déchirement, il reste du vivant. Toujours.

Il reste un souffle, une pulsation, une possibilité de retour à soi. Un chemin vers une réconciliation avec la maternité, avec son histoire, avec son corps, même quand tout semble brisé.

Et peut-être qu’en nommant, en laissant circuler, en ouvrant doucement ce qui était refermé, quelque chose se répare. Quelque chose se relie. Quelque chose revient à la vie, là où elle semblait s’être perdue.

Cet article est un hommage. Un hommage :
– à ce qui n’a pas pu naître,
– à ce qui s’est perdu trop tôt,
– à ce qui a été aimé dans le secret,
– et à la force silencieuse de celles qui ont porté, aimé, puis laissé partir.

 

 

Fatima Moustakime, Gestalt-praticienne

Cabinet de psychothérapie à Clichy sous-bois 93 et en ligne

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