IVG et accompagnement

L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est une expérience profondément singulière, souvent traversée par une grande ambivalence émotionnelle. Au-delà de l’acte médical, elle peut mobiliser des dimensions intimes liées à la culpabilité, à la perte, à la honte ou au soulagement. Chaque femme vit ce moment à partir de son histoire, de ses valeurs, de son contexte relationnel et de son rapport à son corps.

Sur le plan psychique, l’IVG peut parfois laisser des traces invisibles : un sentiment de vide, des questionnements existentiels, ou encore des tensions dans la relation à soi et aux autres. Ces vécus, lorsqu’ils ne trouvent pas d’espace d’accueil et de mise en mots, peuvent s’inscrire comme des blessures inachevées. C’est pourquoi un accompagnement thérapeutique, avant et/ou après l’intervention, est de somme importance.

En Gestalt-thérapie, l’attention se porte sur l’expérience vécue dans l’instant présent, sur la manière dont la personne entre en contact avec elle-même et avec son environnement. Dans le cadre d’une IVG, cet accompagnement permet d’explorer les émotions, de restaurer le lien au corps, de reconnaître les besoins profonds et de soutenir le processus de choix et de deuil. Le suivi thérapeutique offre ainsi un espace sécurisant pour accueillir la complexité du vécu, favoriser l’intégration de l’expérience et permettre à la personne de retrouver un sentiment d’unité et de continuité intérieure.

Dans mon accompagnement, je rencontre des femmes qui traversent de multiples formes de pertes. Certaines sont visibles, reconnues, ritualisées. D’autres sont silencieuses, invisibles, parfois même banalisées par l’entourage ou par le corps médical.

Je remercie profondément les femmes qui m’ont autorisée à partager leur témoignage, dans le but de donner une visibilité à ces expériences souvent vécues dans la solitude et oubliés dans le silence. Leurs récits témoignent de la diversité des vécus possibles et de la manière dont chaque type de perte laisse une empreinte spécifique dans le corps, la psyché, le lien à soi et les projections futures de maternité.

Parce que chaque histoire est unique et chaque douleur mérite d’être entendue.

Un choix qui peut être douloureux

Lucie tombe enceinte à la suite d’un défaut de pilule. Elle décide d’interrompre la grossesse. Après l’IVG, elle n’ose pas parler de la douleur que cette expérience a réveillée. Elle craint que son environnement lui renvoie au choix qu'elle a fait :"En effet, c’était mon choix donc je dois traverser en silence. Je ne me sens pas légitime à ressentir ce que je ressens ».

Le mot "choix" devient alors porteur d’une ambiguïté douloureuse. Il l'enferme dans le silence, comme si décider, faire un choix, signifiait renoncer au droit d’éprouver et d'exprimer sa douleur et son ressenti. Comme si la liberté de choisir devait effacer toute trace de souffrance.

Pourtant, de nombreuses femmes expriment à l'occasion :

  • l’impression que leur douleur n’a pas de place,
  • que leur vécu est disqualifié,
  • que leur souffrance n’est “pas légitime” puisqu’il s’agit d’un acte volontaire.

Si nous revenons à la question du choix, il faut noter qu'un choix peut être douloureux. Certains choix sont douloureux.
Choisir implique toujours de renoncer : renoncer à une possibilité, à un futur imaginé ou à une partie de soi qui aurait pu exister autrement.

Dans le cadre d’une IVG, choisir, c’est aussi renoncer à la possibilité de devenir mère à ce moment-là. Ce renoncement, même lorsqu’il est conscient, réfléchi, aligné avec une nécessité intérieure, peut réveiller une douleur profonde. Une douleur liée à la perte d’un possible, à la confrontation entre le désir et la réalité, entre ce que l’on aurait pu vivre et ce que l’on choisit de ne pas vivre.

Reconnaître cette dimension du choix, c’est accueillir la complexité du vécu : celle d’un acte à la fois libre et chargé d’émotions, d’un choix qui peut être juste pour soi et pourtant douloureux. Reconnaître cette douleur, c’est déjà lui redonner une existence, une dignité, une place. C’est permettre à la personne de se réapproprier son expérience, sans jugement, dans toute sa complexité humaine.

Un vécu émotionnel souvent minimisé

Dans notre société, l’IVG est souvent perçue uniquement comme une procédure médicale et une décision rationnelle bien encadrée. Mais le vécu intime, ce que la femme traverse dans son corps, dans son inconscient et dans son histoire psychique, est souvent balayé ou minimisé. Comme si cette dimension ne comptait pas. 

Beaucoup de femmes taisent leur souffrance parce qu’elles pensent qu’elles n’en ont “pas le droit”, se sentant coupables d’avoir fait « le choix ». Le sentiment de honte, de culpabilité, la peur d’être jugées, la crainte que leur perte soit comparée — et parfois dévaluée — face à d’autres pertes, ainsi que l’angoisse qui peut suivre une IVG, freinent souvent l’expression de leur vécu.  Le manque d’écoute et de soutien autour de cette expérience alimente ce silence, renforçant le traumatisme et les sentiments d’isolement. 

 

"L’IVG a été une expérience profondément traumatisante. J'ai voulu tout effacer et oublier, comme si rien ne s’était passé. Je n’en ai jamais reparlé. Je m’en souviens d’avoir été seule aux toilettes. J'ai vu mon corps expulser la grossesse car il s'agissait d'une IVG médicamenteuse. Tout est tombé et je suis restée figée, immobile, avec le cœur brisé, déchirée et submergée par la douleur. Ensuite j'ai tiré de la chasse d’eau. C’était très dur. Et puis, tout s’est enchaîné, sans pause, sans arrêt, comme si rien n’avait eu lieu. J'avais même pas une arrêt prescrite."

 

Ce témoignage met en lumière la violence silencieuse que certaines femmes peuvent vivre lors d’une IVG. Derrière l’acte médical, il y a un corps, une émotion, une mémoire. Lorsque la douleur n’est pas reconnue, ni accompagnée, elle s’imprime profondément, laissant parfois une trace de solitude et d’incompréhension. Accueillir ces récits, c’est reconnaître que l’IVG n’est pas seulement un geste médical, mais aussi une expérience humaine, intime, qui mérite écoute, soutien et sensibilité. L'IVG est en soi une perte à part entière : d’un possible, d’une projection, d’une continuité. Et, elle n’est pas moins douloureuse qu’une autre forme de perte. La psyché ne hiérarchise pas les pertes. Elle ressent. Elle enregistre. Elle tente de faire sens.

Un acte médical banalisé

La psychologue et psychanalyste Brigitte Mytnik, autrice de "IVG, fécondité et inconscient " publié en 2007, décrit l’IVG comme une pratique socialement banalisée, mais psychiquement chargée. Elle souligne l’absence de rituels, de mots, d’images ou d’espaces symboliques pour accueillir ce qui se vit. Pour elle, la pratique est concrète, charnelle, factuelle, médicale, radicalement réelle, tandis que la pensée de celle-ci est le plus souvent évitée, écartée, peu mise en perspective. Ne reste que l’interminable conflit des “pour” et des “contre”. Cette simple constatation en dévoile, selon l’autrice, la dimension traumatique de cet acte. 

Elle écrit notamment : « Les fœtus avortés sont grossièrement enterrés, brûlés ou noyés sans que leur destruction s’accompagne de gestes ou de paroles spécifiques. Rien dans notre culture ne met en représentations l'image et l’idée de l’IVG. » 

Ce décalage révèle la nature potentiellement traumatique de l’expérience, non pas parce que l’acte est interdit ou dangereux , mais parce que la femme est laissée seule dans cet espace psychique fragile.

L'impact traumatique 

Mytnik (2007), rappelle que si le risque vital n’est plus d’actualité dans nos sociétés, le risque psychique, lui, reste très présent. Ce risque est amplifié par :

  • le silence des professionnels, qui se concentrent souvent sur l’aspect médical sans accompagner le vécu émotionnel ;

  • le silence collectif et sociétal autour de l’IVG, qui laisse les femmes seules avec ce qu’elles traversent ;

  • le manque d’information, qui empêche de comprendre ce qui se joue psychiquement ;

  • l’absence d’accueil du vécu émotionnel, faute d’espaces pour déposer ce qui a été vécu ;

  • l’invisibilisation culturelle et la marginalisation de l’IVG, qui la séparent du reste de l’expérience périnatale.

Il s’agit de reconnaître l’impact réel sur les femmes, la nécessité d’un accompagnement thérapeutique après l’intervention et le besoin de symboliser ce qui a eu lieu, plutôt que d’effacer.

Quand le deuil d’IVG n’a pas été élaboré

Un deuil d’IVG non élaboré peut resurgir plus tard et interférer avec une grossesse en cours et, dans certains cas, la rendre plus difficile ou même pathologique.

Les répercussions de ce deuil peuvent se manifester à différents niveaux :
Pendant une grossesse suivante, avec de l’angoisse, des symptômes physiques ou un sentiment de menace diffuse.
Dans la relation au bébé à venir, où des peurs ou une distance émotionnelle peuvent s’installer malgré le désir d’être mère.
Dans la sexualité, parfois marquée par de la douleur, de l’évitement, une perte de désir ou une culpabilité.
Par la réactivation de traumas anciens, que l’IVG peut venir réouvrir ou remettre au premier plan.

L'évitement comme forme de survie 

Mytnik (2007), souligne qu’il existe souvent un évitement autour de l’IVG : éviter de contacter la souffrance, minimiser ce qui a été vécu, mettre à distance l’impact émotionnel ou traumatique. Cet évitement c’est souvent une manière de survivre, d’avancer, de continuer à fonctionner.

Pour l'autrice, l’IVG est aussi un marqueur pour le collectif, et peut réactiver des traumas partagés :
• ceux liés au contrôle du corps des femmes,
• ceux des violences obstétricales,
• ceux des normes morales, sociales et religieuses,
• ceux du silence transmis de génération en génération.

Marginaliser l’IVG : une violence supplémentaire

Mytnik (2007) attire l’attention sur la marginalisation de l’IVG, qui vient nourrir le silence des femmes : « Quand on sépare l’IVG de l’expérience périnatale, quand on la met à part — comme si elle n’appartenait pas à la même histoire du corps, du désir, de la maternité, de la sexualité — on ajoute une nouvelle violence : celle de la marginalisation du vécu. »

Cette marginalisation renforce le silence et l’isolement des femmes. Offrir un espace d’écoute et d’accompagnement respectueux est essentiel pour permettre à chacune de vivre cette expérience avec soutien et compréhension. La parole, le corps et l’émotion doivent être considérés au même titre que la dimension médicale.

Reconnaître pour transformer

Qu’elle ait été vécue comme traumatique ou non, l’IVG laisse une trace dans l’histoire d’une femme : un souvenir, une émotion, un questionnement, un passage. Cette trace n’est pas forcément douloureuse, mais elle mérite d’être reconnue.

Reconnaître cette douleur c’est redonner à chaque femme un espace où son expérience peut enfin être accueillie, nommée et comprise.
C’est remettre du sens là où il n’y avait que du non-dit. C’est permettre que ce qui a été vécu reste dans l’histoire, mais ne dicte plus l’histoire.

L'importance de l'accompagnement thérapeutique

Un suivi thérapeutique ou un accompagnement psychologique après une IVG permet de :

  • Reconnaître et nommer ses émotions, sans jugement.

  • Accueillir la complexité du vécu corporel et émotionnel.

  • Traverser la douleur, la tristesse ou la culpabilité en toute sécurité.

  • Prévenir les conséquences psychologiques à long terme.

Fatima Moustakime, 

Cabinet de psychothérapie à Clichy sous bois (93) et en ligne 

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