« D’ici » et « de nulle part »
Grandir dans une double, triple ou multiple culture dès l’enfance, être exposé(e) à plusieurs langues, références sociales et identités nationales, marque profondément la construction de soi. Cette pluralité peut devenir source de richesse, mais aussi de tension interne et de conflit identitaire.
Ayant exploré ce thème dans mon propre parcours thérapeutique, je me suis intéressée à la manière d’accompagner les personnes issues du métissage ou ayant grandi entre plusieurs cultures.
Ces vécus interrogent la question de l’appartenance, du regard de l’autre et de la légitimité d’exister pleinement dans un espace qui semble toujours dans l’« entre ».
Être perçu comme étranger : une identité construite dans le regard de l’autre
Comme le souligne Gecele, M. (2013), la multiculturalité confronte l’individu à un jeu d’appartenances en miroir, où son identité se construit en référence à celle de « l’autre ». Ainsi, une personne née en France de parents d’origine étrangère peut être perçue comme étrangère dans le pays où elle a grandi, et comme française dans le pays d’origine de sa famille.
Dans ce contexte, l’identité ne se construit pas seulement de l’intérieur, mais dans le regard porté par l’autre. L’individu se trouve alors pris dans des assignations identitaires parfois contradictoires, susceptibles de générer un sentiment de non-appartenance ou de flottement identitaire. Ce paradoxe nourrit l’expérience d’être à la fois « d’ici et de nulle part ». Trop d’ici pour être de là-bas, trop de là-bas pour être d’ici.
Dans les deux cas, il s’agit d’une expérience où l’on ne se sent jamais tout à fait assez pour appartenir pleinement à un lieu.
L’identité se construit alors dans l’intervalle, dans cet espace de l’« entre », où la personne tente de se définir, de trouver une continuité de soi, sans se perdre dans les assignations extérieures.
Le besoin d’appartenance et la lutte invisible de l’adaptation
Dans cette expérience, il y a une recherche d’appartenance. Pour tenter d’y répondre, la personne s’ajuste, se traduit, se justifie, cherche à ressembler, se déguise parfois, et endosse différents rôles afin d’appartenir à un monde ou à un autre.
Malgré ces efforts d’adaptation, le sentiment de ne jamais être totalement à sa place persiste.
Derrière cette dynamique se loge un besoin fondamental : celui d’appartenir. Lorsque l’environnement renvoie de façon répétée la différence, voire la non-appartenance, ce besoin demeure insatisfait. Il s’agit alors d’une lutte silencieuse, souvent invisible, banalisée, et peu reconnue, mais profondément structurante dans la construction de l’identité.
Le corps comme lieu de rupture et de protection
L’étranger vit souvent une tension entre son corps et son environnement. Son corps lui appartient, mais il peut aussi lui sembler étranger, comme s’il ne lui offrait plus un refuge sécure et habitable. Le corps, premier lieu d’habitation de d'appartenance, devient un espace de rupture, de conflit interne et de protection face à l’insupportable.
L’étranger se retrouve alors :
- entre son corps et l'environnement,
- entre présence et retrait,
- entre adaptation et effacement.
Ce clivage corporel traduit la difficulté à se sentir pleinement incarné dans un environnement qui ne reconnaît pas toujours ni son appartenance ni son existence, ni son histoire, ni sa légitimité à être là.
Réhabiter son corps
Le travail thérapeutique vise à réactualiser le contact, à inviter la personne à réhabiter son corps, son premier lieu d’appartenance devenu étranger.
Retrouver son corps, c’est :
- Renouer avec ses sensations,
- Écouter ses émotions : tristesse, colère, fatigue, joie,
- Légitimer ce qui a été longtemps minimisé.
Ce processus d’écoute et de soin permet à la personne de se sentir rejointe, comprise, là où elle se sentait seule.
C’est une réconciliation avec soi, une réappropriation de son espace intérieur.
Accompagner l’expérience
Il ne s’agit pas de résoudre une identité, ni de trancher entre des appartenances, mais de soutenir un processus vivant.
Un processus qui permet à la personne de se sentir exister pleinement, là où elle est, telle qu’elle est.
S’autoriser à ressentir devient alors un acte fondamental : ressentir la fatigue, la colère, la tristesse, mais aussi le désir, l’élan, la joie d’être.
L’accompagnement thérapeutique vise à offrir un espace où ces vécus peuvent être déposés, reconnus, mis en mots et en corps. Un espace suffisamment sécurisant pour que la personne puisse ralentir, observer ses ajustements, relâcher ses masques, et expérimenter une présence plus authentique envers elle-même.
Peu à peu, il devient possible de trouver un appui interne, même dans l’entre-deux. Un appui qui ne dépend plus uniquement du regard de l’autre, mais d’un sentiment de continuité intérieure.
Habiter l’« entre » : une autre manière d’exister
Cette expérience offre la possibilité d'apprendre à habiter l'espace de l’« entre » qui peut aussi devenir, lorsqu’il est reconnu et soutenu, un espace de créativité, de sens et de transformation.
Lorsque la personne cesse de chercher à ressembler pour appartenir, et commence à s’autoriser à être comme être singulier, son être se réorganise.
Accompagner cette expérience, c’est offrir la possibilité de se réapproprier son existence, de se sentir légitime d’être là, et de faire de l’«entre» un lieu d’ancrage.
Fatima Moustakime, Gestalt praticienne
Cabinet de psychothérapie humaniste à Clichy sous-bois (93) et en ligne
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